jeudi 26 août 2010

Japon, disparition de centenaires

A lire, encore dans Le Monde, les articles du 2 août et du 13 août dernier.

"Le Japonais qui s'était momifié de son vivant

On le pensait l'homme le plus âgé de Tokyo (111 ans). La police vient de découvrir chez lui son corps momifié : il serait mort depuis trente ans. Lorsque la mairie de l'arrondissement d'Adachi voulut vérifier que Sogen Kato, né le 22 juillet 1899, était bien vivant, elle fut éconduite par sa fille (81 ans) arguant que son "père ne voulait voir personne". La petite-fille, 53 ans, déclara cependant le lendemain à la police que son grand-père avait décidé de devenir un "Bouddha vivant" et que le têtu vieillard refusait depuis trente ans à quiconque de pénétrer dans sa chambre.

Macabre fait divers cachant probablement une escroquerie car le défunt touchait les indemnités versées aux personnes âgées et les certificats de vie étaient falsifiés... Le respect de "l'intimité" du patriarche reclus dans sa chambre depuis trente ans est en tout cas bien mystérieux...

Qu'ils reflètent ou non la vérité, les propos de la petite-fille faisant état du désir de son grand-père de devenir "Bouddha vivant" sont troublants : ils font inopinément surgir dans le Japon du XXIe siècle une vieille pratique d'automomification des adeptes de la "voie de l'ascèse" (shugendo) issue du courant du bouddhisme ésotérique.

DOCTRINE ASCÉTIQUE

Dans des temples de la région de Yodono (préfecture de Yamagata, au nord du Honshu), on peut voir une vingtaine de momies de moines anachorètes datant du XIVe au XIXe siècle, en position de méditation assise, qui sont l'objet de dévotions des pèlerins. Au fil d'une ascèse - "entrer dans l'immobilité" (nyujo) - consistant à s'asseoir, jambes croisées, en retenant son souffle et les battements de son coeur, le croyant est supposé sanctifier son corps. Et à l'issue d'un long jeûne anorexique, il "abandonne" son enveloppe corporelle.

Contrairement à l'Egypte, dont le climat sec facilitait la momification, le Japon a un taux d'hydrométrie élevé. Aussi ceux qui voulaient "abandonner leur corps" devaient-ils commencer par le laisser dépérir en se privant de céréales puis, après deux mille jours, de fruits et d'herbes pour ne plus boire que de l'eau. Au moment où la mort d'inanition advenait, le corps était déjà presque momifié. Ensuite, on l'enfouissait dans une tombe de pierre pendant trois ans. Puis il était ressorti. Comme les momies de grands lamas tibétains obtenues par salaison, les momies japonaises étaient parfois enduites de laque.

Cet abandon du corps ne s'apparente pas dans la doctrine ascétique à un suicide mais vise à une existence simultanée dans le monde des vivants et le Nirvana. Pratiquée en Chine depuis le IVe siècle, elle arriva au Japon au XIe. L'interdiction de l'excavation d'un tombeau par le code pénal en 1880 y mit fin, en privant les candidats à la momification d'un enterrement provisoire de trois ans. Le centenaire de Tokyo voulait-il "abandonner son corps" ou fut-il emporté par une mort banale, dissimulée pour des motifs bien prosaïques ?

Philippe Pons (Tokyo, correspondant)"


"Deux cents centenaires restent introuvables au Japon
AFP/JIJI PRESS
Une Japonaise montre la photo de mariage de sa belle-mère, âgée de 102 ans, qui a disparu.

Vous vous souvenez sans doute du doyen de Tokyo, Sogen Kato, 111 ans sur les registres d'état civil, qui gisait sur son lit depuis trente ans, quand la police l'a découvert récemment. Ce centenaire factice ne serait en réalité pas le seul.

Plusieurs enquêtes, lancées depuis lors dans tout l'archipel, révèlent que près de 200 Japonais centenaires sont introuvables et probablement morts depuis longtemps.

DES ANNÉES SANS AVOIR RECOURS AUX SERVICES SOCIAUX OU MÉDICAUX

Rien que dans la ville de Kobe, à l'ouest du pays, où 847 Japonais nés il y a plus de 100 ans sont officiellement enregistrés par les services municipaux, 105 personnes ont disparu de la circulation et n'ont pas recouru aux services sociaux ou médicaux au cours des dernières années. "La ville a lancé des investigations concernant ces personnes", a déclaré un fonctionnaire municipal.

Parmi ces "disparus" figure une femme qui serait aujourd'hui âgée de 125 ans et serait donc la vraie doyenne du Japon, dépassant Chiyono Hasegawa, une femme de 113 ans, vivant dans la préfecture de Saga (sud).

SOUPÇONS DE FRAUDE AUX PENSIONS

L'opinion publique a été choquée d'apprendre que certains centenaires avaient disparu sans que leurs enfants ni leurs voisins ne s'en aperçoivent ou ne le signalent, ce qui, selon les sociologues, est symptomatique d'une rupture des liens communautaires et familiaux.

Des soupçons de fraude pèsent, en outre, sur certains proches qui n'auraient pas déclaré le décès de leurs aïeux pour continuer à empocher leurs pensions."



Rappel : Records de longévité
L'archipel compte officiellement plus de 40 000 centenaires sur une population de 127 millions d'habitants, qui bat des records de longévité : 86,44 ans en moyenne pour les femmes, premier rang mondial, et 79,59 ans pour les hommes, cinquième rang.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire